Mapièce Télétravail et nouvelles formes de travail : opportunités et limites
Le parlement a récemment voté les ordonnances Macron qui modifient en profondeur le code du travail et qui ont suscité beaucoup de débats et d’oppositions. Mal connues dans le détail, ces ordonnances comportent un volet spécifique sur le télétravail avec différentes mesures qui vont faciliter cette pratique, plébiscitée par une grande majorité de salariés, mais encore mal vue des employeurs et crainte par les managers.
Au-delà de cette libéralisation du télétravail, c’est l’essor sans précédent des nouvelles formes de travail liées au numérique qui est en jeu puisque le coworking est également en pleine croissance. Mais cela pose de nouvelles questions car une possible généralisation du travail à distance et collaboratif n’est pas sans risques et il nécessite de repenser totalement nos collectifs de travail qui se sont structurés il y a plus de 150 ans.
Qu’est-ce que les ordonnances Macron modifient sur la question du télétravail ?
Pour résumer, les ordonnances Macron lèvent pas mal de freins réglementaires et juridiques au télétravail. Tout d’abord, celui-ci peut enfin se faire légalement de façon occasionnelle. Ce qui colle à l’usage réel du télétravail qui requiert beaucoup de souplesse. Ensuite, la prise en charge d’un accident du travail en situation de télétravail se fera dans les mêmes conditions que si l’accident survenait au siège de l’entreprise. Enfin, le gouvernement va obliger un employeur qui refuse le télétravail à un salarié de motiver ce refus. Une sorte de renversement de la charge de la preuve qui opère un véritable changement culturel par rapport à cette pratique.
Les bases d’un droit au télétravail
Le télétravail est toujours basé sur le double volontariat : celui de l’employeur et de l’employé. Aucun des deux ne peut l’imposer à l’autre. La nouveauté des ordonnances repose sur cette nécessaire motivation d’un refus de la part de l’employeur. Autrement dit, ce dernier devra justifier précisément pourquoi il refuse le télétravail au salarié de façon argumenté. Par ailleurs un amendement du député Laurent Pietraszewski va permettre à toute entreprise de négocier de gré à gré et par tout moyen le télétravail avec un salarié en dehors de tout cadre collectif, ce que deux syndicats dénoncent. Nous verrons dans quelques mois ce que dira la jurisprudence à ce sujet. Quoi qu’il en soit, ces différentes avancées ont aussi une forte charge symbolique. On est dans le registre de la « soft law ». Ces ordonnances sont un vrai stimulateur pour faire progresser le télétravail en France, qui est, disons-le, très en retard par rapport aux pays scandinaves par exemple.
Le coworking, une première réponse à ce besoin collectif
Le besoin de recréer des collectifs de travail explique sans doute le succès et la croissance exponentielle du coworking dans le monde. Selon la Global Coworking Survey de 2017, le nombre de coworkers a plus que doublé entre 2015 et 2017, passant de 500 000 à près d’1,2 million aujourd’hui. En six ans, le nombre d’espaces de coworking a été multiplié par 10, passant d’un millier en 2011 à près de 14 000 en 2017. Ce phénomène d’hyper-croissance s’observe au niveau mondial avec le succès de WeWork, qui compte plus de 100 000 membres et se valorise à près de 20 milliards de dollars. Mais aussi en France qui compte près de 600 espaces de coworking et compte des entreprises pionnières comme La Cordée et des nouveaux venus comme NowCoworking ou Wereso. Étymologiquement le coworking cela veut dire « travailler ensemble ». C’est évidemment une première réponse concrète à l’atomisation des collectifs de travail lié notamment à la numérisation du travail.
Un phénomène qui ne concerne plus que les travailleurs indépendants, les freelance et des start-upper
Les indépendants ont été les pionniers du coworking car cette façon de travailler répondait à plusieurs besoins. Économique, pour mutualiser l’espace de travail mais également social, pour constituer des communautés solidaires, des collectifs de travail d’un nouveau genre. Aujourd’hui, de plus en plus de salariés fréquentent les espaces de coworking. Par exemple, si une entreprise allemande veut ouvrir un bureau en province, elle va placer son salarié dans un espace de coworking. Cela lui coûtera beaucoup moins cher qu’un bureau classique et son salarié sera plus vite intégré dans la vie économique et sociale locale. Les entreprises commencent aussi à intégrer le coworking comme une façon de travailler à part entière dans leur organisation. On parle même de corpoworking. C’est sans doute cela la vraie révolution du travail.
Des perspectives de croissance, des opportunités et des risques
Le coworking n’est déjà plus réservé à quelques centres spécialisés ici ou là. Il désigne désormais une façon de travailler qui facilite le travail collectif, l’innovation, l’entraide, le brassage, la mixité. Cela constitue une vraie réponse à l’explosion des collectifs de travail que le numérique opère dans les entreprises. À l’avenir, il est probable que de plus en plus d’actifs travailleront d’un lieu de réunion à un autre, alterneront leur présence entre leur domicile, le siège de l’entreprise, un centre de travail partagé ou encore les transports en commun qui sont aussi devenus de véritables espaces de travail. Il suffit de prendre le TER ou le TGV pour s’en rendre compte.
Si cette atomisation des collectifs comporte un risque de dispersion et d’instabilité il faut aussi voir que les actifs s’adaptent vite, notamment les jeunes générations qui arrivent sur le marché du travail et que cette agilité est désormais requise pour évoluer dans le monde instable de la transformation numérique. Un ensemble d’outils, de plateformes et de méthodes sont en train de voir le jour pour faciliter cette évolution et optimiser cette itinérance professionnelle. Un nouvel équilibre doit être trouvé entre le travail sédentaire et le travail nomade.
Bref, un condensé de l’histoire humaine en quelque sorte…
Jean Pouly, Expert en économie numérique, Université Jean Monnet, Saint-Étienne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.